La lettre à Alicia

Cher cousin, chère cousine,

Alicia DAVY est la fiancée de notre grand-oncle Émile MARIE qui est mort lors de la première guerre mondiale (Émile MARIE 1886-1917). Est parvenue jusqu’à nous cette lettre qu’Emile a écrite à sa fiancée en décembre 1915 :

Loigny la bataille, 3 décembre 1915

Loigny-la-bataille est une commune d’Eure-et-Loir située entre Chartres et Orléans. Une bataille y eut lieu lors de la guerre de 1870. Si tu te rends sur place, tu pourras visiter un musée consacré à cette bataille et cette guerre.

Chère amie,

Aujourd’hui vendredi jour de mauvais temps et n’ayant pas grand chose à faire, je vais me distraire en répondant à gentille et longue lettre que j’ai reçue mercredi avec plaisir. Mais je n’ose te répondre car lorsque je la regarde et que je la relis encore une fois, je ne me trouve pas capable de répondre à une si belle parole et si belle écriture mais enfin que veux-tu je ne puis faire mieux. Donc je crois que tu auras l’amabilité de bien vouloir m’excuser. Tu sais bien que le plus beau garçon ou bien la plus belle demoiselle de ce monde ne peut offrir que ce qui lui appartient… Pour moi je n’ai pas la capacité de parler et d’écrire comme toi mais je fais mon possible et l’écrit de tout mon cœur.

Laissons tous ces petits boniments là de côté et parlons d’autre chose. Faut-il que je te parle de ma situation en ce moment. c’est toujours la même chose c’est la batterie mais cela ne brille pas cette semaine car il a fait mauvais temps. Nous n’avons pas travaillé que la moitié du temps. Mais lorsqu’il fait beau nous mangeons la soupe à 5 heures et demie et l’on commence vers 6 h jusqu’à 11 heures et demie et de une heure l’après midi jusqu’à 6 heures le soir.

La journée terminée, tout le monde va se plumer dans son gite. Lorsque nous sommes éloignés d’une commune, que l’on bat dans les villages, l’on couche dans les étables ou écuries, mais lorsque nous sommes à la ville je loue un lit on ne nous prend pas cher vers 7 ou 8 sous par nuit, mais cela prend tout de même un peu sur le gain de la journée car maintenant on ne gagne plus que 30 sous par jour depuis la Toussaint mais malgré tout cela vaut encore bien les tranchées. Nous attendons tous les jours l’heure de rentrer au dépôt car d’après les journaux il faut passer la visite mais durant que cela dure on en profite. Il sera toujours assez tôt d’y aller. J’ai peut-être dit un mot de trop car toi qui est patriotisme je ne serais pas encore approuvé.

A Loigny la bataille, ce qu’il y a de remarquable, c’est l’église où sont installés de beaux tableaux rappelant la bataille de 1870. La table de communion est faite avec des obus et des balles ainsi que des lustres et plusieurs chandeliers. Il y a aussi un caveau où reposent plus de douze cents victimes qui dorment du profond sommeil. Ce sont bien entendu tous les combattants de la gloire du pays de 1870. Hier, c’était l’anniversaire de cette grande bataille. A l’église il y avait une belle cérémonie mais qui n’était rien auprès des années précédentes.

Comme nous battions auprès de l’église, j’ai aperçu un petit marchand d’images où nous avons fait du commerce ensemble et c’est pour cette circonstance que je t’envoie ce petit cœur que je détache de sur ma poitrine en souvenir de la fête de Loigny et qui est appelé la bataille depuis 70.

Je termine en te souhaitant bien le bonjour, et une bonne santé et espère sera complétement rétablie ainsi qu’à toute la famille. Encore une fois merci de ta belle lettre.

Un ami qui t’aime et t’embrasse de tout son cœur.

Emile Marie

Quant à la voisine, les amours sont toujours maigres, souhaite lui si tu veux bien le bonjour de ma part ainsi qu’aux vieux parents et sans rire.

Je ne sais pas comment cette lettre est parvenue jusqu’à nous : est-ce un brouillon qu’Emile avait gardé ? Est-ce une lettre qu’il n’a jamais envoyée ? ou est-ce une lettre qu’Alicia a bien reçue et donnée ensuite à la famille ? Je préfère cette troisième hypothèse.

Après le décès d’Emile, Alicia est restée célibataire, fidèle à son fiancé. Elle était considérée comme faisant partie de la famille MARIE. Son nom apparait sur les faire-part de décès de la famille, aux côtés des frères et sœurs d’Emile.

Alicia est décédée en 1964 à l’âge de 72 ans. Elle est inhumée avec ses parents au cimetière de la Carneille.

Cousinalement.

Didier

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