Chers cousins-cousines,
Henriette DURAND est la tante qu’aucun d’entre nous n’a connue, puisqu’elle est décédée le 16 août 1944 à l’âge de 19 ans. Nos parents l’ont bien sûr connue et en gardent un souvenir ému.
Aînée de nos oncles et tantes, elle est née le 10 mai 1925 à Issé lorsque nos grands-parents, Jean-Baptiste DURAND et Henriette AUBIN, habitaient chez nos arrière-grands-parents Jean-Baptiste DURAND et Anne-Marie LANDAIS au hameau de la Touche.
Notre cousin Christophe m’a envoyé une copie de la lettre qu’elle a écrite le 22 juin 1944 à son père et à son frère Jean, alors âgé de 15 ans, à l’occasion de la Saint-Jean. En voici la copie, suivie d’une retranscription.
Mauves, le 22 juin 1944
Mes chers papa et Jean
A l’occasion de votre fête, je viens vous offrir tous mes voeux de bonne heureuse fête. J’espère que vous êtes en bonne santé et que Jean se plaît toujours bien chez ses patrons. En ce moment, il doit avoir du travail avec le foin.
Henriette poursuit son courrier en donnant des nouvelles de sa santé. Elle est au sanatorium, à l’hôpital de la Droitière à Mauves-sur-Loire :
Pour moi, ça va un peu mieux du côté de la température. Depuis 8 jours, je ne dépasse pas 37°5 aussi j’ai commencé d’aller à table le midi, je mange bien, j’ai toujours faim, mais du coté pulmonaire, ça ne s’arrange guère puisqu’il me dit que mes deux cavernes paraissent aussi bien l’une que l’autre, enfin on verra par la suite, en attendant il faut de la patience.
Nous sommes le 22 juin 1944, donc encore en guerre, un peu plus de deux semaines après le débarquement en Normandie. La suite du courrier est consacré à cela.
Ces jours-ci nous n’entendons pas beaucoup les avions; mais enfin la semaine dernière, ils sont revenus sur Nantes, mais ils ont marqué leur passage encore une fois, il ne restera plus rien si cela continue, il parait qu’on a plus le droit de circuler en auto ou alors on est mitraillé c’est très drôle. Monsieur Maxime va être obligé de prendre une voiture à cheval pour aller chercher son ravitaillement. Le docteur nous a dit hier qu’il ne fallait pas gaspiller le pain car à Nantes c’est la misère les gens n’ont même pas leurs rations. Jusqu’ici, nous avons de la chance car nous avons toujours eu de la nourriture satisfaisante. A l’hôpital de Chateau ils sont rationnés de pain, il parait que les thoracos sont arrêtées à cause de l’électricité qui manque. La semaine dernière, il était 10h du soir quand on est passées à la radio, les malades vont s’en ressentir de toutes ces privations, surtout si on ne peut plus opérer.
« Monsieur Maxime » : il s’agit probablement d’Eugène Maxim, directeur de l’hôpital de 1936 à 1973.
« l’hôpital de Chateau » : je pense qu’il s’agit de l’hôpital de Châteaubriant.
Thoracos: sans doute les thoracotomies.
Et Henriette conclut :
Enfin chers papa et Jean, je vous quitte en vous redisant bonne et heureuse fête. je vous embrasse affectueusement ainsi que toute la famille et pense à vous dans mes prières.
Henriette qui vous aime bien.
Notre oncle Bernard, le plus jeune frère d’Henriette, a lui aussi été hospitalisé à la Droitière, jusqu’à son décès en octobre 1990. La Droitière n’est plus un hôpital depuis l’an 2000. Le parc et son château sont maintenant gérés par une association qui a pour objectif sa sauvegarde. Voici leur site : https://www.chateaudeladroitiere.fr/
Ouest France a consacré un article à son histoire en septembre 2017. On y apprend notamment pourquoi les allemands n’ont pas investi le château lors de la seconde guerre mondiale : « Grâce à ce statut de sanatorium, l’envahisseur allemand, craignant la maladie, n’envahit jamais le château. À chaque descente des forces d’occupation, les malades étaient alignées dans la cour avec consigne de tousser et de cracher. Ce qui faisait fuir les Allemands ». Je ne sais pas si notre tante a participé à ces exercices. L’article complet se trouve ici : https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/mauves-sur-loire-44470/la-droitiere-la-reconversion-du-xxe-siecle-5238785
En ce 24 juin 2022, je suis sûr vous allez tous vous joindre à moi pour fêter une bonne fête à notre tonton Jean, qui, à l’époque, avait aussi recopié cette lettre !
Cousinalement.
Didier